Hôtel Westminster au Touquet : là où James Bond est né

C’est le fantasme de tout écrivain : choisir un hôtel et décider qu’il sera l’écrin de son prochain opus. On se souvient de Scott et Zelda Fitzgerald prenant les lustres du Biltmore à New York pour des balançoires, d’Ernest Hemingway vidant la cave du Ritz pour la délivrer de l’occupant allemand ou encore d’Oscar Wilde poussant son dernier souffle dans une chambre d’un goût douteux de l’hôtel d’Alsace, rue des Beaux-Arts : « Ou c’est le papier peint qui disparaît ou c’est moi… » Ce fut lui. Pourtant, tous ont eu la même intention, écrire en ces lieux à part. S’isoler dans une bulle et se jeter vers l’inconnu. Faire table rase du passé, imaginer l’histoire, la grande comme la petite. 

Un lieu à part, le grand hôtel Westminster du Touquet-Paris-Plage l’est assurément. Alice Oniszczyk, guide conférencière passionnée, nous en dévoile les secrets. À l’origine, un banc de sable fin de près de 1 600 hectares, sis à l’embouchure de la Canche, quelques arbres aux branches déchiquetées par le vent du nord et des lapins par centaines. Au milieu du xixe siècle, Alphonse Daloz, notaire parisien, décide de se porter acquéreur de cet environnement hostile pour y établir un domaine de chasse. Il y plante 4 500 pins maritimes, dont les racines fixeront les dunes. Et puis des trembles, des frênes, des ormes et des chênes. « On dirait un coin de forêt vierge », s’exclame Daloz, qui convie ses amis à venir ­l’observer de plus près. 

Mais comment se fait-il que vous n’ayez pas songé à créer une plage à cet endroit 

Arrive Hippolyte de Villemessant, directeur du Figaro aux idées avant-gardistes, qui conseille au notaire de développer… une ­station balnéaire : « Mais comment se fait-il que vous n’ayez pas songé à créer une plage à cet endroit ? » Le chemin de fer mène allègrement à Étaples, à quelques encablures du bord de mer. Il faut trouver un nom évocateur, ­imaginer des rues parallèles et perpendiculaires, un quadrillage simple, ériger des habitations, ­chalets de bois peint ou maisons aux briquettes colorées. Un premier hôtel ouvre, puis trois pensions de famille et quelques restaurants. En 1882, Paris-Plage est inauguré. C’est un succès phénoménal !

Terrain miné

Le siècle s’éteint et avec lui Alphonse Daloz. Il est temps de tourner la page. Le domaine du Touquet et sa station balnéaire Paris-Plage sont rachetés par un Anglais, John Whitley, entrepreneur avisé. Il a créé à Londres une salle d’exposition sur le terrain vague d’Earl’s Court et y a convié Buffalo Bill et son spectacle, ce qui a enchanté la reine Victoria. Il va à son tour façonner Le Touquet en y introduisant le goût pour des pratiques sportives toutes plus chics les unes que les autres.

Cours de tennis, terrains de golf et champs de courses poussent comme des champignons. Les matchs de polo se multiplient. L’Angleterre a interdit les paris ? Qu’à cela ne tienne ! John Whitley décide de créer ici le paradis des jeux et érige le majestueux Casino de la forêt. Marbres, dorures et lustres en cristal, salons gigantesques, chemin de fer et baccara, tables de roulette, neuf, rouge impair et manque, l’endroit est lancé à grand fracas en… 1913. 

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L’année qui suit sonne le glas des plaisirs, la Grande Guerre est là. Bientôt les combats font rage dans les Flandres et la station balnéaire en vogue devient un refuge sanitaire. Sous l’égide de l’éblouissante Constance Cornwallis-West, épouse du duc de Westminster, le casino flambant neuf se transforme en hôpital militaire de la Croix-Rouge : 150 lits, une salle de rayons X, ici, on sauve les soldats alliés par milliers. Mais voilà déjà l’armistice et les années folles s’emballent. 

Pour les accueillir, on construit un hôtel prestigieux à 200 mètres du casino

Les maharajahs indiens éprouvant un véritable engouement pour la France, les milliardaires américains fuyant la prohibition, les play-boys à la recherche d’un riche mariage : tous se pressent au Touquet-Paris-Plage. Pour les accueillir, on construit un hôtel prestigieux à 200 mètres du casino. Le Westminster, ainsi nommé en hommage à la duchesse qui parrainait l’hôpital, est inauguré en 1924. On y croise bientôt Ian Fleming, un jeune journaliste qui manie aussi bien le français que l’allemand. Ou le romancier britannique Pelham Grenville Wodehouse, qui connaît un beau succès avec son personnage de Jeeves, un valet de chambre ultrasnob qui sauve son jeune maître, l’inénarrable Bertie Wooster, de situations invraisemblables. Ou encore le futur Edward VIII, venu inaugurer un ­deuxième parcours de golf en 1934. 

La guerre se profile à nouveau. Cette fois,  elle est tellement étrange qu’on la surnomme la « drôle de guerre ». Les Allemands passent la ligne Maginot en deux temps trois mouvements, et l’on peut bientôt apercevoir le sinistre feld-maréchal Erwin Rommel au Touquet. Les bombardements alliés font rage, l’hôtel Westminster est partiellement détruit, des mines sont enterrées partout, sur la plage, dans la forêt… Après l’armistice, il faudra trois années entières pour déminer le paradis d’Alphonse Daloz. On dénombrera plus de 130 000 mines. 

L’espion qui bluffait

Avec la fin de la guerre, on voit revenir les Anglais au Touquet-Paris-Plage. Ian Fleming, devenu entre-temps l’un des maîtres espions de Churchill, pose ses valises à côté du golf, dans la villa Les Lambins, prêtée par un compatriote fortuné. Discret, élégant, l’homme tape ses textes sur une machine à écrire plaquée or et fréquente assidûment le Casino de la forêt : « L’excitation fait partie de l’attrait d’un casino, avoue-t-il dans Les Villes électriques. La première règle consiste à se procurer un siège à la table de roulette. Il faut arriver tôt au casino, par exemple à 9 heures du soir ou dans l’après-midi. Les formalités d’entrée ne doivent pas vous décourager. Vous avez seulement besoin d’un passeport et d’un costume respectable… excepté… au Casino de la forêt, au Touquet, où vous devez porter des vêtements de soirée. » 

Ian Fleming s’installe au Westminster pour écrire, vient y chercher l’inspiration. Avec le barman de l’hôtel, il aime à évoquer sa propriété jamaïcaine, baptisée Golden­eye. Sa vie personnelle, ses rencontres, tout est matière à écriture. Il imagine ainsi un agent secret séducteur et facétieux à qui rien ni personne ne résiste, subtil mélange de lui-même et de l’agent double Dusan Popov, alias Tricycle. Il avait croisé l’espion serbe pendant la Seconde Guerre mondiale à l’hôtel Palacio d’Estoril, au Portugal, autour d’une table de baccara.

Celui-ci venait de miser 38 000  dollars et de remporter le coup au bluff, donnant au Britannique l’idée de son premier opus, Casino Royale, achevé… au Westminster, dans une suite du rez-de-chaussée. À sa sortie, en avril 1953, le livre s’écoule à 5 000 exemplaires, un beau succès pour un genre alors peu en vogue. Mais les ventes explosent vraiment à partir de 1961, quand le président John Fitzgerald Kennedy confie dans une interview  que son auteur préféré est Ian Fleming ! 

Le barman a d’ailleurs créé un cocktail rhum, martini et citron vert, en hommage à L’Espion qui m’aimait 

Au fil des ans, le Westminster maintient son lien avec l’iconique James Bond. En 1962, Sean Connery signe son contrat pour James Bond contre Dr No, premier film de la série, dans le bar de l’établissement et griffonne dans le livre d’or : « Sometimes I am East, sometimes I am West. » En 1981, Roger Moore laisse sa trace dans la galerie des ­portraits. Le barman a d’ailleurs créé un cocktail rhum, martini et citron vert, en hommage à L’Espion qui m’aimait (1977). On attend aujourd’hui avec effervescence la venue de Daniel Craig. Car il viendra, John Banizette, le fringant directeur de l’hôtel en est certain ! 

Pincement de coeur

Rénové par Bruno Borrione, architecte et concepteur d’intérieur qui a su allier la modernité et le luxe à l’âme Art déco de l’endroit, le palace dispose désormais d’une suite dédiée à 007. Œuvres d’art et détails raffinés y rappellent l’élégance de l’agent secret. Depuis 1991, le chef étoilé ­William Elliott, d’origine canadienne, officie en cuisine. En juin 2021, l’hôtel a obtenu sa cinquième étoile, devenant le seul cinq-étoiles de toute la Côte d’Opale, de Knokke-le-Zoute à Honfleur.

Une Aston Martin glisse le long de la façade en briques rouges du Westminster. « Il est temps […] de se frayer un chemin en ligne droite vers le nord-ouest de la France afin d’arriver au petit aérodrome animé du Touquet », écrit encore Ian Fleming dans Les Villes électriques. Un dernier repas délicieux au restaurant de l’aéroport (5 étoiles dans mon guide gastronomique personnel), un pincement de cœur (de jalousie) en voyant les autres voyageurs descendre de l’avion pour les vacances, et ce fut ensuite la mélancolie du vol de retour à travers la Manche. Combien d’émotions, de craintes et d’emportement, combien de visions et de sons excitants durant ces semaines ! Quel bonheur ! L’étranger sera toujours un plaisir !


Le Westminster, avenue du Verger, 62520 Le Touquet.

Les Villes électriques, Ian Fleming, Arthaud, 22 euros.

James Bond 007, Tome 1 : Casino Royale, Vivre et laisser mourir, Entourloupe dans l’azimut, Les Diamants sont éternels, Les Contrebandiers du diamant, Bons Baisers de Russie, Docteur No, Ian Fleming, Robert Laffont, « Bouquins », 30 euros.

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